Juillet 2025
Et après Vuitton et Hermès, on fait quoi ?
Monsieur Bosson Malletier
Dans un atelier normand, entre un chêne vert d’Amérique et un massif d’herbes aromatiques, le silence a quelque chose de reposant et de sacré. Pas de machines bruyantes, juste l’odeur du cuir qu’on coud, du bois qu’on assemble, de la soie qu’on caresse et découpe. Dans ce décor hors du temps, je rencontre Emmanuel Bosson, fondateur de Monsieur Bosson Malletier, artisan d’un luxe que plus personne n’ose vraiment pratiquer.
Il m’accueille entre deux commandes sur mesure, les doigts encore marqués par la couture sellier qu’il pratique. Il parle lentement avec une forme de douceur naturelle, rien du créateur à l’ego boursouflé. Juste un homme et une obsession : redonner vie à une collection, véritable patrimoine oublié.
« Je suis tombé dessus par hasard, en vidant le grenier d’un parent disparu. Il y avait là des croquis, des lettres, des photos… J’ai découvert l’existence d’Achille Bosson, mon arrière-arrière-grand-père, ouvrier malletier à Paris sous la Belle Époque. J’ai eu un choc esthétique et émotionnel. »
À l’époque, Emmanuel est graphiste. Mais quelque chose s’enclenche. En 2024, il quitte tout pour faire renaître l’univers de cet ancêtre inconnu.
« Je ne voulais pas copier le passé. Je voulais le continuer, le faire revivre avec les exigences d’aujourd’hui, sans rien sacrifier au geste, ni à la matière. »
Des malles comme des symphonies.
Dans son atelier, chaque pièce est pensée comme une œuvre.
Des cuirs pleine fleur, des soieries tissées à Tours par les ateliers Jean Roze, de la passementerie fournie par la maison Declercq, les crêtes et les cartisanes sont brodées à la main comme au XVIIᵉ siècle. Et toujours, des boutons précieux.
« La nostalgie du passé est une émotion incontrôlable. C’est une réponse à l’uniformisation du luxe, aux objets pensés par algorithme et tendances. Moi, je propose du rare, du sensible, du vivant, de l’intemporel. »
Quand il me tend une mini-malle, je suis saisi. Les matières dialoguent : la soie ondule de lumière, la passementerie raffinée structure et impressionne par sa finesse. Tout est équilibre et émotion, une évidence !
« Je ne fais pas que de la malleterie. Je compose des poèmes, de petites symphonies esthétiques. La soie est la partition, la passementerie est le rythme et le bouton, la note finale. »
Un style qui intrigue et déstabilise.
Mais dans un monde aussi codifié que celui du luxe français, cette singularité indépendante et artisanale n’est pas toujours la bienvenue. Emmanuel le dit sans détour :
« Quand vous arrivez avec un projet non formaté, issu de nulle part, vous dérangez. Le luxe est un univers de clans, où l’on s’épie et se jalouse. »
Il a bien rencontré brièvement Bernard Arnault, PDG de LVMH :
« On m’a dit qu’il avait été stupéfait. Ce que je propose ne rentre dans aucune case. C’est davantage un esprit qu’un petit concept qui nécessite une tonne de blabla marketing. Ça intrigue, mais ça gêne aussi. »
Aucune grande enseigne parisienne, ni Le Bon Marché, ni La Samaritaine, n’a accepté de présenter ses pièces.
« Même du côté institutionnel, c’est compliqué. On avait proposé à Brigitte Macron de porter l’une de mes créations pour un déplacement officiel. Elle a décliné, poliment. On m’a fait comprendre que seules les grandes maisons avaient leur place à ce niveau-là. C’est un certain snobisme, une forme de mépris de classe. Comme si un petit artisan ne pouvait pas exister. »
Et pourtant, tout dans son travail respire la maîtrise, le respect, l’exigence, la beauté pure. L’ensemble des artisans qui collaborent avec lui représente plus de 500 années de savoir-faire français d'excellence : Soieries Jean Roze depuis 1660 et Declercq passementiers depuis 1852!
« Je ne veux pas devenir un empire! Je veux que chaque pièce soit irréprochable. Désirable par son exclusivité et sa vérité. »
Là où la France hésite, à l’international on s’intéresse… et on investit.
Ce qui frappe, c’est que l’intérêt vient d’ailleurs. Dubaï, notamment, où un investisseur a récemment proposé de soutenir son développement.
« Là-bas, il y a un vrai respect du savoir-faire français et des belles choses. Pas de regard condescendant. Pas de réflexes de caste. Juste de l’admiration sincère pour le travail de la main et un certain héritage français, l’authenticité des savoir-faire historiques. »
Et Emmanuel de comparer cette reconnaissance étrangère à celle dont les Impressionnistes ont bénéficié… aux États-Unis, avant d’être reconnus en France.
Le luxe comme intelligence de l’esprit et de la main.
« Mains, outils de l’esprit sans lesquels la pensée n’est que chimère. » Aslan
Avant de repartir, je lui demande ce qui le guide. Il me regarde, sourit :
« Je n’ai pas inventé un style. Je l’ai retrouvé et matérialisé. J’ai simplement écouté ce que mes mains savaient faire, et ce que les objets voulaient devenir. »
Dans un monde saturé de collaborations gadgets, de marques sans âme, de produits surmarketés, Monsieur Bosson Malletier pose une question essentielle :
Et si le luxe n’était plus là où l’on pense ?
Et si, demain, à côté d’Hermès ou de Vuitton, un autre nom, discret, engagé, libre, faisait irruption par la seule force d’un esprit pur et de gestes nobles?
C’est cela, la France: prendre des risques et défendre des valeurs et une culture.